
┤ To translate is to betray. Vol. I ├
TRADUIRE, C’EST TRAHIR. Vol. I
TO TRANSLATE IS TO BETRAY. Vol. I
Artists: Benoît Aubard, Babi Badalov, Bady Dalloul,
Esmeralda Kosmatopoulos, Ekaterina Vasilyeva et Hanna Zubkova
Curated by: Azad Asifovich & Sasha Pevak
Opening 22.09.16 > 18h00
Show 22.09.16 > 02.10.16
Le titre ‘Traduire, c’est trahir’ reprend l’expression italienne « traduttore, traditore [1] », signifiant que la traduction n’est jamais identique à l’œuvre originale. La version acceptée et paradoxale en français de cette figure de style [2] peut tout de suite ouvrir la voie à une polémique sur la traduction. Dans le premier volume de ‘Traduire, c’est trahir’, les artistes et les curateurs s’interrogent sur la traduction et l’interprétation des textes et des œuvres plastiques. L’exposition met ainsi en exergue la relativité de ces procédés, à la lumière des contextes et des identités culturels, sociaux, politiques et historiques multiples.
Nous avons l’habitude de percevoir la traduction comme un texte secondaire par rapport à l’original. Cependant, ce n’est qu’à l’époque de la Renaissance que ces rapports entre le texte et sa traduction se sont établis en Occident. Auparavant, selon Antoine Berman, « traduire n’était qu’une forme, elle-même plurielle, de l’incessant ré-arrangement textuel [3] » des ouvrages qui, eux, n’étaient pas non plus figés pour toujours. On pense, entre autres, à la tradition orale antique, ou bien, à des contes, fondés souvent sur des sujets migrants, voyageant d’un peuple à l’autre. Dans le travail ‘Quatorze degrés de séparation’ de l’artiste Esmeralda Kosmatopoulos, la tradition orale antique est réactualisée à l’aide de la technologie. Dans cette pièce sonore, le texte épique de l’Odyssée d’Homère se détache progressivement du sens initial et se décompose en poèmes surréalistes, au gré de plusieurs traductions hasardeuses par un logiciel en ligne. A la fin, les sept bandes sonores démontrent le voyage du texte d’Homère à travers le temps, les différences vernaculaires et les relativités culturelles.
L’artiste Bady Dalloul propose une adaptation contemporaine de fables animalières « Kalîla wa Dimna ». Classique de la littérature arabe, ce recueil tire son « origine » d’une épopée indienne – le Pantchatantra – composée aux alentours du IVe siècle. La version arabe [4] datant du VIIIe siècle a obéi aux préoccupations de l’époque et a été consacrée d’une part à l’éthique politique et à la conception du pouvoir, d’autre part au savoir nécessaire à l’homme pour bien se conduire sur terre et assurer son salut dans l’au-delà. Ce texte traduit dans plusieurs langues, a inspiré de nombreux écrivains, dont Jean de La Fontaine pour ses Fables. Chez Bady Dalloul, les histoires allégoriques sur des animaux sont collectées dans des cafés japonais. A travers le texte réécrit en anglais et les illustrations redessinées, l’artiste fait un lien entre les sujets archétypes et notre quotidien, comme le furent en leur temps chacune des versions précédentes.
La déconstruction et la recomposition de textes est au cœur de la pratique de Benoît Aubard. Empruntant des techniques de la génération beatnik, dont celle du cut-up, l’artiste produit de nouveaux textes, teintés de mélancolie et de désespoir, et qui mêlent des sources multiples. Les ouvrages littéraires, les textes publicitaires, la signalétique urbaine s’entrelacent dans un flux textuel de Benoît Aubard rendant les textes « originaux » méconnaissables. Pour Traduire, c’est trahir, c’est le livre d’Apocalypse qui devient la source pour le cut-up poétique de l’artiste. Ce choix qui met en lumière l’ambiguïté d’interprétations du dernier livre du Nouveau Testament, fait également un commentaire sur des manipulations qu’ont subies les textes sacrés chrétiens au fil des époques.
Le contexte global, dont celui du dit « monde de l’art Occidental », met tout artiste contemporain devant la nécessité d’intégrer la langue anglaise dans sa pratique. Le travail multilingue de l’artiste et poète Babi Badalov met en scène l’interpénétration du local et du global, telle qu’elle est vue par une personne nomade. Migrant, réfugié ou voyageur, elle se retrouve ainsi face à la nécessité d’une réintégration continue. Les jeux de mots de Babi Badalov qui éprouvent les limites du langage, font croiser les expériences personnelles de l’artiste, réfugié politique en France, avec l’actualité mondiale et produisent des chocs culturels inattendus.
Partant de la tradition de l’art contextuel, les artistes Ekaterina Vasilyeva et Hanna Zubkova, dans leur performance ‘Axe de révolution’ étudient les différences entre les contextes occidentaux et russes. Réalisée à Moscou en 2014, la performance qui durait environ dix-sept heures, consistait à traverser à pieds la capitale russe en ligne droite, du point le plus au sud jusqu’au point le plus au Nord, en portant sur les épaules un profil métallique. Suite à une transposition linguistique [5], l’action qui a eu lieu quelques mois après l’annexion de la Crimée dans une ambiance politique très tendue, a été reçue en Russie comme incarnant une forme d’activisme politique et cela, malgré le Manifeste officiel publié par les artistes la veille de la marche.
Sasha (Alexandre) Pevak
[1] – Littéralement « traducteur, traître ».
[2] – On appelle cette figure de style « paronomase ».
[3] – Antoine Berman, « De la translation à la traduction », TTR : traduction, terminologie, rédaction, vol. 1, n° 1, 1988, p. 28.
[4] – Réalisée par Ibn al-Muqaffa‘.
[5] – ‘Axe de révolution’ était traduit en russe comme Революционная ось, ce qui créait une ambiguïté entre les expressions « axe de révolution » et « axe révolutionnaire ».